Depuis que 'l'école du mercredi matin' est mise en place bien des parents sont confrontés au problème de la récupération de leurs jeunes enfants à midi car les écoles primaires n'assurent pas le service de la cantine ce jour-là.
Depuis que 'l'école du mercredi matin' est mise en place j'assure donc, en alternance avec les autres grands parents et la nounou, la prise en charge de mes petites filles. J'ai choisi de les accueillir dès le mardi soir pour leur permettre de se lever une heure plus tard qu'à l'habitude ...et d'avoir le plaisir de déguster une chocolatine au petit déjeuner.
Ce mardi, c'était mon tour. Mon fils me les a menées vers dix-neuf heures trente et nous avons passé un début de soirée bien agréable:un 'apéro', coca pour elles, vin cuit pour moi, agrémenté de pop-corn et d'olives,un menu choisi pour leur faire plaisir avec la promesse d'une coupe de fraises 'Gariguettes' à la chantilly pour le dessert.
L'ambiance était joviale, leurs yeux pétillaient et Miss Lulu était intarissable au point que j'ai d^à plusieurs reprises lui demander de se taire pour finir son choux fleur gratiné.
Comme à son habitude et profitant de l'absence de papa, Lucie avait posé ses doudous sur la table; je n'y avais pas prêté attention mais Manon l'avait bien remarqué et, soudain, décida d'intervenir, de rappeler la consigne de ses parents ... et le drame éclata:
"Oh, non!" Le visage de Manon se décomposa, de grasses larmes se mirent à couler le long de ses joues "j'ai oublié mon doudou!" Eh oui, même à douze ans et demi, même avec l'adolescente attitude, même en étant capable de rester seule chez elle et, plus encore, de garder sa petite sœur, Manon a encore besoin de son 'objet transitionnel' (et j'ai ouïe dire, signe de nos temps modernes déshumanisés, qu'ils sont nombreux nos jeunes 'ados' à éprouver cette absolue nécessité)
Il était vingt heures trente. Papa accepterait-il de refaire le trajet pour lui apporter son doudou? En fait, Manon était bien convaincue que non; cependant elle voulait croire un peu mais n'osait pas appeler par crainte d'entendre le refus redouté. Elle me dit: "Je ne sais pas si papa voudra venir" Plutôt que de lui répondre qu'en effet il refuserait, je lui proposais de l'appeler en prenant soin de la préparer à la réponse: "Appelle papa, comme cela tu sauras mais il faudra que tu acceptes la réponses quelle qu'elle soit."
Après le coup de fil et le verdict Manon avait séché ses larmes: entendre la voix de son père l'avait, l'espace d'un instant, reliée à sa maison. Profitant de son calme retrouvé je me mis à lui expliquer à quoi correspond son doudou, ce qu'en fait elle sait parfaitement. Je lui promis que nous allions trouver ensemble une solution de substitution. Rassérénée Manon se régala avec ses fraises à la chantilly.
Pendant qu'elle dégustait un bel excès de crème je me mis à réfléchir; très vite deux idées salvatrices me virent:
Tout d'abord, sur l'étagère en face de moi se trouvait une petite poupée en costume que ma belle-fille m'avait ramenée de Marrakech; Manon en avait une sur sa table de nuit; lui prêter ma poupée me sembla alors évident; j'avais pensé juste car les yeux de Manon retrouvèrent leur sourire.
Lorsque la table fut desservie mes petites filles montèrent dans la chambre pour se mettre en pyjama; Manon avait pris la poupée avec tendresse et la plaça sur la table de nuit.
J'envisageais alors, au détour d'une idée qui me semblait valable, lui prêter mon foulard, celui que je porte le plus souvent: il est imprégné de mon odeur et de celle de mon parfum que Manon utilise parfois, cela pourrait lui donner le sentiment d'une présence, d'un lien. Je n'en ai pas eu le temps car un éclat radieux jaillit de l'étage:
"Mamie, mamie, Lucie elle me prête son nounours pour cette nuit!" Et Lucie de surenchérir: "Eh ben oui, une sœur, c'est fait pour ça! et 'pis' j'ai mon autre doudou alors, ça ira!"
wouahou! Une armée d'anges planèrent dans ma maison et j'ai bien failli fondre en larmes!
Mon tout petit bout de femme de huit ans et demi avait compris que l'amour n'est pas à sens unique et qu'elle pouvait, elle aussi, voler au secours de sa grande soeur en détresse!